Récit de ma correspondance avec le tueur en série français Francis Heaulme.
(Dans mon ouvrage “Les mots du mal – Mes correspondances avec des tueurs”, vous aurez la possibilité d’en découvrir davantage sous une forme bien plus développée, riche en rebondissements et en anecdotes supplémentaires.)
Ce fut l’un de mes correspondants Américains, le tueur en série Californien Patrick Wayne Kearney, qui me communiqua un jour l’adresse de Francis Heaulme. Depuis longtemps, cet américain incarcéré à vie est en relation avec des gens de l’extérieur qui lui transmettent régulièrement des adresses d’autres détenus du monde entier afin qu’il puisse correspondre avec eux.
Vers le début du mois de Mai 2010, Patrick Wayne Kearney m’envoya une liste d’adresses rédigée à la main comportant celles de tueurs en série différents tels que Ian Stewart Brady, Guy Georges, Francis Heaulme ou encore du terroriste International Ilich Ramirez Sanchez alias « Le chacal ».
Ma surprise fut grande de constater que toutes ces personnalités du crime étaient si facilement accessibles, dès lors qu’on trouvait le bon réseau. C’était surprenant, attractif mais effrayant à la fois. Je m’aventurais en terre inconnue pour une expérience fortement intéressante, mais aussi terriblement bouleversante sur le plan humain.
Je mis du temps pour me décider d’écrire à Francis Heaulme. Son affaire avait toujours levée en moi de grandes interrogations et j’étais un enfant lorsqu’il a commencé à faire parler de lui dans les médias. À l’époque, je le trouvais très effrayant et il me faisait penser à une sorte de croque mitaine. L’un de ceux que l’on peut croiser n’importe où et à tout moment. Quand j’ai envoyé ma première missive en vue de correspondre avec lui, je ne pensais pas obtenir une réponse si vite. Trois jours je plus tard, je reçus dans ma boite aux lettres un courrier, maladroitement écrit et difficile à lire. Il émanait bel et bien de Francis Heaulme, désireux et heureux d’entretenir une correspondance avec moi.
Voici un court extrait de la première lettre de lui. J’ai choisi d’en conserver la syntaxe ainsi que l’orthographe d’origine :
” Monsieur David bonjour
Je vous remercie de m’ecrire sais tres gentil de votre pars
Oui vous pouvais m’ecrire pas de problème est merci pour les timbre
J’ai beaucoup de personne qui m’ecris dans toute la France est l’étrangé en une semaine 15 lettre à écrire il y a beaucoup de personne qui cett er esste (s’intéresse) de me repondre pour Moi J’ai tès grosse peine à faire je ne sais pas quand je pourrais sortir on ferra Mes je sais une choses sais long sa fait 18 ans que je suis en prison ou je suis à Ensisheim
Je vais tout le ne pas reste en cellule sais la galère etc… etc… ”
L’essentiel du contenu de ses lettres à venir évoquait son quotidien carcéral, le fait qu’il ne se mélangeait pas aux autres détenus qu’il trouvait bizarres et méchants avec lui. Francis Heaulme me parlait parfois de ses problèmes familiaux, de sa haine profonde envers son père et de l’amour sans limite qu’il vouait à sa mère. Il m’expliquait le syndrome de Klinefelter dont il est atteint. Il s’agit d’une anomalie génétique qui se caractérise chez l’humain par un chromosome sexuel X (féminin) supplémentaire. Extrait d’une lettre datée du 29/06/2010.
“Je voulais savoir si tu as un ordinateur chez toi. Parce que j’ai une maladie de Klinefelter. Un syndrome. Tu verras pourquoi j’ai du mal à faire l’amour avec une femme. Je pense que tu comprendras, c’est médical. Tu verras que cette maladie dont je souffre, c’est à vie. Je suis très malheureux. Ma sœur, elle est au courant, quand je vais à la douche, tout le monde se moque de moi alors je vais les prendre à 8 heures, comme ça, je suis seul.”
Par la suite, il abordait le thème de son traitement hormonal à base de testostérone et ses mots maladroits laissaient parfois entrevoir son sentiment de frustration, son complexe d’infériorité par rapport aux femmes et le fait qu’il se considérait comme un demi-homme.
À une cadence qui me semblait rapidement infernale, je recevais environ trois lettres par semaine de Francis Heaulme et quand je tardais à répondre, il m’en envoyait une autre pour me faire part de son incompréhension. Au fil du temps, je ressentais le besoin de me préserver psychiquement.
Francis Heaulme me parlait beaucoup de sa sœur Cadette qu’il semblait aimer par dessus tout. Elle est son phare dans les ténèbres de son existence, son soleil. Sa hantise était d’être reconnu coupable dans l’affaire du double infanticide de Montigny-Les-Metz car en réaction au verdict, sa sœur ne viendrait plus lui rendre visite. Dans ses lettres, jamais il n’évoquait ses crimes. Il se contentait juste d’aborder l’aspect médiatique de ceux-ci avec plus ou moins de fierté. Son écriture maladroite et pleine de fautes d’orthographe donnait un caractère enfantin à ses lettres. Francis Heaulme, manipulateur et menteur pathologique me racontait régulièrement des mensonges pour se rendre intéressant. De mon coté, je percevais cette attitude comme une tentative de se rapprocher de moi, de nous trouver des points commun afin de créer un lien ou une emprise.
Dans l’une de ses missives, Heaulme me raconta qu’il avait vécu, de 1982 à 1984, dans la même ville où je vivais alors que je correspondais avec lui. C’était un mensonge grossier. Il ne fallut que quelques recherches pour en avoir la confirmation. 1982 coïncidait avec le début de la maladie de sa mère et 1984, à sa mort après une lente agonie. Durant cette période, il vivait en Meurthe et Moselle, dans le nord est de la France, pas très loin de la ville de Metz. 1984 marquait aussi ses premiers meurtres et le début de sa longue errance à travers la France.
Dans un certain nombre de ses courriers, il me disait souvent que j’aurais pu être son petit frère vu qu’il était plus âgé que moi. Francis Heaulme tentait souvent de me prendre par les sentiments. Passionné par la philatélie, il m’envoyait des centaines de timbres qu’il récupérait de la part d’autres détenus apparemment plus cléments avec lui. À plusieurs reprises, il m’envoyait des cadeaux tels que des dessins de ses mains et de ses pieds (pour rigoler selon ses termes) ainsi qu’une carte postale représentant le chanteur et ancien joueur de tennis Français, Yannick Noah. Ce dernier était venu donner un concert à la prison d’Ensisheim. Cette carte était signée à mon nom par Yannick Noah, Francis Heaulme avait donc pensé à demander une dédicace personnalisée pour moi.
Dédicacée au recto, il était inscrit sur la carte : « Pour David », suivi d’un smiley et de sa signature. Au verso de la carte, Francis avait inscrit:
« 21/07/2010
J’ai vu Yannik Noa à ensisheim
Pour toi David. »
La réception de cette carte était surréaliste. J’avais entre les mains une carte signée à la fois par un chanteur célèbre et par l’un des pires tueurs en série Français de la fin du XX ième siècle.
Francis Heaulme avait pour habitude de me parler de son intérêt pour tout ce qui touchait au crime d’une manière générale, il me confiait qu’il regardait souvent, à travers l’écran de télévision de sa cellule, l’émission ” Faites entrer l’accusé ”. L’administration pénitentiaire ne mit pas longtemps à me retourner deux grandes enveloppes contenant certains documents que je lui avais envoyés et une lettre me mettant en garde sur les aspects nuisibles que cela pouvait générer sur Francis Heaulme. Notre correspondance commençait à faire l’objet d’une censure et je fus informé qu’elle pouvait compromettre les possibilités de réinsertion du détenu. En vertu de l’article D.414 du code de Procédure Pénale, le directeur de l’établissement pénitentiaire pouvait interdire ma correspondance avec Francis Heaulme. L’administration m’invitait cordialement à éviter le thème du crime et des criminels célèbres dans mes courriers. Ainsi, un tueur en série ou tout autre type de détenu peut se nourrir de violence audiovisuelle, regarder des émissions liées au crime, mais n’a pas le droit de recevoir de la lecture abordant ce thème. Je trouvais cela contradictoire.
Un jour, je reçus finalement une convocation de la Gendarmerie m’invitant à me présenter dans leurs locaux. Ceci pour en savoir plus sur moi et mon intérêt pour les tueurs en série. Conscient des inquiétudes que pouvaient générer un tel intérêt, j’étais néanmoins au fait de mes droits et du caractère légal de mes correspondances. Je fus interrogé durant 4 heures et mis en garde sur le fait qu’une telle activité pouvait être dangereuse pour ma sécurité. Les gendarmes effectuèrent des photocopies de lettres de chacun de mes correspondants qui, à l’époque, étaient au nombre de huit.
Après avoir été prévenu que je risquais d’être souvent convoqué à la gendarmerie pour mes échanges avec Francis Heaulme, malgré la légalité de ma démarche, je décidais d’y mettre un terme. J’informais mon correspondant Patrick Wayne Kearney de cette interruption et lui demandais d’expliquer à Francis Heaulme les raisons de l’arrêt brutal de notre correspondance. Ce dernier lui fit part de sa déception mais il continua à demander de mes nouvelles à Patrick Kearney de temps à autre.