En Allemagne, Armin Meiwes se fit connaître en 2001 pour le meurtre de Bernd Jürgen Brandes. Perpétré sur une victime consentante, le crime est précédé et suivi de faits de cannibalisme. Cette affaire à la portée internationale horrifia l’Allemagne en ce début de XXIe siècle.
Depuis 2001, date à laquelle son affaire avait éclaté au grand jour, j’avais toujours convoité de visiter la maison d’Armin Meiwes, le cannibale allemand. Pour autant, je ne pensais pas pouvoir le faire un jour. Durant plus de 20 années, ce ne fut qu’un vague fantasme de « dark tourism » et d’urbex qui sommeillait dans un recoin de mon esprit, mais quelque chose allait tout changer.
Un jour, j’appris qu’une bonne amie à moi avait un couple d’amis qui vivait à Fulda, jolie ville allemande de taille moyenne, et que celle-ci était située à 63 kilomètres au Sud de Wüstefled, le bourg où se trouvait l’énorme manoir d’Armin Meiwes, vieux de 700 ans. Je précise que celui-ci était classé monument historique.
C’est au mois d’août de l’année 2022 que j’eus enfin l’opportunité de m’y rendre. Arrivés sur les lieux en voiture, en début d’après-midi, nous nous sommes garés au pied du panneau présentant l’Histoire du petit bourg de Wüstefeld, et qui ne représente qu’une poignée de maisons perdues en pleine forêt. Le temps d’y parvenir, on se serait cru au début du film de Stanley Kubrick, « Shining ». Le panneau mentionnait la fameuse Ulla Von Bernus, une personnalité connue en Allemagne pour avoir été une sorcière, et diseuse de bonne aventure, au cœur de certains tumultes médiatiques et judiciaires.
Tout à la fin de sa vie, Ulla Von Bernus se serait tournée vers un christianisme de couleur occulte. Elle fit la une des journaux une dernière fois à titre posthume, lorsqu’on apprit qu’elle avait vécu à Rotenburg, dans les environs immédiats d’Armin Meiwes, le «cannibale de Rotenburg», et qu’elle avait été la meilleure amie de sa mère, Waltraud Meiwes.
Lorsque nous sommes arrivés à pied devant la maison envahie par la végétation, nous avons été stoppés net par la présence du voisin direct d’Armin Meiwes, et qui était en train de tracter du fumier sur le terrain inoccupé de ce dernier. Mes deux acolytes étaient prêts à rebrousser chemin, mais pour moi, il en était purement hors de question. Je n’avais pas attendu plus de 20 ans, et parcouru plusieurs centaines de kilomètres pour rebrousser chemin si proche du but. Par chance, le voisin descendit de son tracteur au bout d’une dizaine de minutes, et retourna chez lui. La voie était enfin libre !
Nous en avons profité pour pénétrer à l’intérieur de la maison d’Armin Meiwes, ventre à terre et en file indienne. À l’intérieur de celle-ci, une vive émotion s’empara de moi. Malgré l’incendie qui avait ravagé la maison quelques temps plus tôt, une forte odeur de moisissure, et un intérieur assez détruit, j’étais prêt à me lancer dans une longue exploration de la demeure, et à récupérer un maximum d’objets. La première étape consistait à s’équiper d’un masque pour ne pas trop inhaler l’air vicié.
Au rez-de-chaussée se trouvaient, une vaste remise contenant encore du matériel de cuisine, des bocaux pleins de denrée ; une cuisine carbonisée (là où l’incendie s’était déclaré) ; une pièce semblable à une chambre ou une bibliothèque ; et une salle à manger avec une vaste baie vitrée donnant sur la maison du voisin. Il fallait ramper pour ne pas être remarqué. Nous avons passé un long moment dans la salle-à-manger où Armin avait consommé la chair de Bernd Brandes, sa victime consentante. Il y avait aussi une buanderie (ou une petit salle de bain) très encombrée par toute sorte de cartons pleins de magazines people, appartenant à sa mère, et de livres érotiques appartenant à Armin Meiwes.
Dans le secteur du rez-de-chaussée, j’ai collecté de la vaisselle, à savoir des assiettes, un saladier, un couteau de cuisine (le seul que j’ai trouvé), des livres au nom Waltraud Meiwes, la mère d’Armin, des documents familiaux du début du XXe siècle, des magazines people des années 90, dont un érotique, ainsi que de nombreux outils de bricolage, des tournevis et une pince, entre autres choses.
Au rez-de-chaussée se trouvait aussi une pièce semblable à une salle de télévision, ainsi qu’un atelier d’informatique avec du matériel encore présent dans la pièce, et une autre salle présentant peu d’intérêt, avec juste un vieux bureau, une armoire déglinguée, et un canapé pourri.
Pour accéder au premier étage, le seul moyen d’y parvenir était d’emprunter un escalier démoli qui impliquait de faire un peu d’escalade. Rapidement, je me suis rendu compte de l’état de ruine et de vétusté de la maison, dont certaines zones étaient au bord de l’effondrement. Nous marchions sur des œufs.
Au premier étage, en haut de l’escalier, nous avons trouvé des petits jouets dans une boite, des figurines d’animaux. Un immense corridor parcourait tout l’étage. Le long de celui-ci, la chambre d’Armin Meiwes, avec en face, une pièce qui lui servait de dressing et d’endroit pour stocker ses affaires personnelles. Collée à elle, ll y avait la chambre de sa mère, entièrement ravagée, et présentant peu d’intérêt, en dehors de quelques collages malsains réalisés par un certain Frank Hobush.
(Fait intéressant concernant la maison d’Armin Meiwes :
Les autorités ont forcé Armin Meiwes à vendre/ louer sa maison qui est considéré comme un bâtiment classé et faisant partie du patrimoine, car étant en prison et sans le sou, il n’avait plus les moyens de s’en occuper. Ainsi, Armin Meiwes a demandé à son avocat de chercher quelqu’un pour louer la maison dans un premier temps. Et c’est tombé sur un certain Frank Hobush, qui n’était autre qu’un violeur et un pédophile. Ce dernier aurait vécu dans la maison de 2009 à 2011. Il semblerait qu’il ait principalement occupé la chambre de Waltraud Meiwes, au vu des nombreuses photos d’enfants découpées et des lettres en Allemand faisant état de ses fantasmes qui y ont été retrouvés. D’autres documents sous forme de listes, avec des noms d’enfants et leur âge, ainsi que des notes manuscrites, parfois en anglais, du style « Good for love », ont aussi été mis au jour.)
C’est aussi le long de ce corridor que se trouvait la célèbre salle de bain dans laquelle Berd Brandes a pris le dernier de bain de sa vie, avant de s’y endormir à tout jamais, complètement vidé de son sang après l’amputation de son pénis qu’il essayèrent de manger Armin et lui. Les carreaux, jadis verts étincelants, caractéristiques de la salle de bain du crime mythique, étaient sales et noircis par la crasse, à cause de la fumée de l’incendie qui était remonté au deuxième étage. Mais qu’importe, j’en décollais un bon nombre en m’aidant d’un burin, pour les conserver en souvenir. Je me sentais fébrile et nerveux. Il y avait le fait de me trouver enfin dans la maison, de collecter des souvenirs, mais aussi la crainte que le voisin ne nous repère, et alerte la police. En effet, ce dernier avait la réputation d’en avoir ras-le-bol des amateurs d’urbex qui n’avaient de cesse de venir pour explorer la maison, et faire des vidéos pour leur chaine Youtube.
Dans la chambre d’Armin, sous son lit, j’ai trouvé une petite bouteille d’alcool fort, scellée et encore sans doute consommable, qu’on lui avait offert pour un anniversaire. Autour du goulot, il y a un petit ruban cadeau. J’ai aussi trouvé des cartes d’anniversaire adressées à Armin, et une tasse sur laquelle il était inscrit en allemand « Joyeux Anniversaire ». J’ai aussi découvert des négatifs de photographies mettant en scène sa mère, Waltraud Meiwes, devant des paysages.
Mais je n’étais pas au bout de mes surprises. Mes meilleures trouvailles se sont produites dans son dressing. Dans cette pièce, le sol était jonché d’objets, de papiers, de vêtements, et de merde pourrissante sur au moins soixante-dix centimètres d’épaisseur. C’est dans cet humus que nous avons fouillé en profondeur, pour y découvrir des documents militaires au nom d’Armin Meiwes, son agenda de 1983 bien rempli, une cravate avec des motifs d’ordinateur, Armin étant informaticien, une veste en jean, des chemises, un pantalon, une ceinture, une petite peluche de chien, des lunettes de soleil, une gourde militaire, une paire de bottes militaires, un écusson d’épaule de veste de l’armée, et une très étrange tête de mannequin en polystyrène sur laquelle était colorié un visage masculin, avec de gros sourcils et une barbe. Je me suis alors rappelé qu’à l’instar de Jeffrey Dahmer, dans son écrasante solitude, Armin Meiwes souhaitait avoir un compagnon qui ne le quitterait jamais. Un petit ami qui resterait avec lui pour toujours. Alors, en attendant de rencontrer Bernd Brandes, il se confectionnait des partenaires imaginaires sur lesquels il pouvait projeter tous ses fantasmes sexuels. Cela rappelle aussi l’ami d’enfance imaginaire d’Armin qu’il avait appelé « Franky », et qui ne le quittait jamais. Plus tard, ce nom serait celui qu’il emprunterait sur internet pour naviguer sur des sites de rencontre dédiés au cannibalisme. Armin Meiwes deviendrait alors « Franky le boucher ».
Concernant le sol du dressing, à mesure que nous creusions pour y exhumer des éléments de la vie intime d’Armin Meiwes, nous avons soudain réalisé que tout le bordel de la pièce constituait son sol. En effet, cet amas de matière formait un plancher, car le vrai s’était effondré au rez-de-chaussée depuis longtemps. Constatant la dangerosité et la précarité du lieu, nous avons décidé de stopper nos fouilles à cet endroit-là.
Tout au bout du corridor, il y avait une autre chambre, dont une partie du deuxième étage s’était complètement effondrée dessus ; une pièce assez vaste au mur tapissé de tissus rouge, avec un vieux berceau en osier au centre de la pièce ; et une sorte de véranda moisie avec des fauteuils, devenue un refuge pour les oiseaux.
À la mort de sa mère en 1999, Armin Meiwes réaménagea la maison familiale selon ses fantasmes, et j’allais en prendre la mesure en montant au deuxième étage, encore plus instable que le premier étage et rez-de-chaussée. En effet, plus notre ascension se poursuivait, et plus la maison se faisait menaçante, notamment avec un plancher plein de trous, et qui menaçait de se dérober sous nos pieds à chaque mauvais pas. Parfois, il fallait faire de petits sauts pour atterrir sur les parties solides en pierre. Nous aurions pu rebrousser chemin, mais l’envie de découvrir la salle d’abattage était trop forte.
Je l’ai tout de suite reconnue. Tout ce que je connaissais de la maison jusqu’à lors, je l’avais vu en photo dans des magazines ou sur internet, et les images s’étaient durablement imprimées dans mon esprit. J’avais l’impression de visiter une maison que je connaissais déjà, sans pour autant y avoir jamais pénétré. Le réel m’offrait des sensations fortes qu’aucune virtualité ne pouvait surpasser.
Dès que j’ai franchi le seuil, j’ai compris où j’étais. Les murs de ce qui fut jadis un ancien fumoir étaient noircis, et des croix blanches y étaient gravées. Un vieux sommier rouillé et une table de chevet se trouvaient dans la pièce. C’est dans cette pièce qu’Armin avait accroché au plafond, à l’aide de quelques crochets, le cadavre de Bernd Brandes, pour le vider de ses organes, et ensuite le découper en morceaux. Il y avait aussi une autre pièce, une chambre tout en lambris, si mes souvenirs sont bons, avec un lit en bois, et quelques petits meubles.
Le deuxième étage, dans un état de délabrement avancé, laissait apparaître la charpente du toit, mais à un endroit, un autre escalier en bois plus récent, signifiait la présence d’un troisième étage, ou plutôt devrais-je dire, d’une extension. J’en avais connaissance, et je savais que c’est à cet endroit que se trouvait une ancienne salle de jeux pour enfant, avec encore de nombreux jouets à l’intérieur. Hélas, la dangerosité des lieux, entre le plancher fragilisé et la charpente menaçante, me fit craindre pour ma vie, et je décidais de ne pas m’aventurer plus loin. S’en était terminé de mon exploration fantastique dans la mystérieuse maison du cannibale allemand, Armin Meiwes.
Concernant la collecte des nombreux objets que j’ai récupérés, je m’étais organisé de la façon suivante : Je prenais ce qui m’intéressait, et laissais tout devant les portes des pièces où j’avais fait mes découvertes. Ainsi, j’ai produit plusieurs petits tas d’objets. J’ai tout récupéré au fur et à mesure que nous rebroussions chemin jusqu’à la sortie de la maison.
Nous sommes ressortis couverts de poussière de la tête aux pieds, avec la gorge qui piquait un peu, mais moins que si nous n’avions pas mis chacun un masque de protection. Nos yeux aussi étaient en feu, mais nous étions très heureux ! Nous avons chargé toutes nos reliques dans le coffre de la voiture, et nous sommes partis en mettant « Mein Teil », la chanson de Rammstein sur Armin Meiwes, à plein volume.
À ce moment-là, j’ignorais encore que nous étions parmi les derniers explorateurs de la vaste demeure. Un an après, en avril 2023, nous apprenions à notre grand désarroi qu’elle avait totalement brûlé dans un incendie. Désormais, il n’en reste rien. De fait, tous les objets que nous avons collectés, dans la maison partie en fumée, sont des reliques uniques en leur genre. Ils sont les témoignages de l’une des plus incroyables affaires criminelles du début du XXIe siècle, qui secoua l’Allemagne tout entière, et fit parler d’elle dans le monde entier, mais aussi les précieuses reliques d’une histoire familiale complexe qui engendra le destin troublé d’Armin Meiwes le cannibale.